A Lancy Charles Pictet de Rochemont compte les moutons

Mais ne s’endort pas !

Retiré de la politique genevoise à Cartigny puis sur ses terres de Lancy, ce patricien médite sur l’avenir de sa patrie et celle de sa famille.

L’époque est morose, Genève est encerclée par la France révolutionnaire, la Savoie déjà annexée, Genève s’alarme.

Ironie de l’histoire, devenue préfecture du Léman en 1798, elle fera pendant 15 ans ménage commun avec ses anciens ennemis, les Savoyards.

Le citoyen Pictet, ruiné par les demoiselles,[1] cherche à faire bouillir la marmite.

Infatigable, il deviendra tour à tour agriculteur, journaliste, pédagogue, industriel et finalement diplomate au service de Genève et de la Suisse.

Sur son domaine, il troque la charrue locale au profit de la charrue belge, sélectionne la verse, le trèfle et la luzerne pour enrichir le fourrage de ses moutons. Afin de garnir l’assiette des Genevois trop souvent en disette, il s’intéresse à tout ce qui peu améliorer les récoltes tel l’assolement mais aussi à la culture du maïs et à l’utilisation de la pomme de terre en boulangerie lorsque le blé vient à manquer.

A Lancy, dans sa ferme modèle, il élève des moutons mérinos qu’il croise avec une race indigène jusqu’à obtenir une laine aussi fine que le cachemire. Dans sa bergerie sont formés gratuitement de jeunes bergers, pendant qu’Adélaïde son épouse initie les femmes à l’art du filage et du tissage. De leurs ateliers sortiront des châles qui à l’époque où le commerce  avec l’Angleterre est interrompu par le Blocus continental, concurrenceront les cachemires anglais très à la mode.

C’est un de ces châles offert à la mère du tsar Alexandre qui plaidera en faveur des affaires qu’il projette en Ukraine. De nombreuses lettres plus tard, échangées avec le gouverneur de la province d’Odessa, le duc de Richelieu, l’épopée des mérinos peut enfin commencer.

En 1809, ce sont 900 mérinos chaussés de leurs bottines de cuir qui partiront de Lancy. Trois mois plus tard, 870 arriveront en Crimée sur un domaine plus grand que l’actuel canton de Genève. Pictet de Rochemont le nommera Novoï Lancy.

Cette épopée russe est un tel succès que toute l’Europe lui réclame des mérinos et s’intéresse à ses travaux. Sur le chemin de l’indépendance genevoise, les mérinos sont une étape qui fera parler des frères Pictet et de Genève loin à la ronde !

Animation:
Jessica Friedling
Texte:
Valérie Fontaine