Remontrance des filles

Dans ces périodes troublées les Genevoises joignent leurs voix aux accents révolutionnaires pour revendiquer leur accès à l’instruction.

« Citoyennesréveillez vous à la voix de l’égalité & de la liberté qui jettent les hauts cris du coup qu’on veut leur porter. Songez que ce sont vos fillesvos petites fillescelles de vos proches & de vos amistoute cette génération croissante, si intéressante, si jolie, qui vous demande par notre voix, de n’être pas mise sous un joug accablant, d’être laissées en possession de l’égalité avec les hommes & de l’empire dans le ménage.»

Elles s’insurgent contre le projet de réforme pour le collège de Genève publié par Horace-Bénédict de Saussure en 1774.

« […] Vous ne vous êtes pas attendu sans doute que nous garderions toujours le silence ? … C’est une de ces mauvaises plaisanteries familières à votre sexe que de nous accuser de ne pouvoir nous taire. Mais la crainte d’y donner lieu qui nous a longtemps retenues, doit cesser lorsqu’il s’agit de nos intérêts les plus chers. Oui Monsieur, quoiqu’on puisse dire nous parlerons, &, ce sera peut-être, pour faire rougir votre sexe de ses injustices… Fallait-il encore que dans tout un système d’éducation pour les hommes, il n’y eut rien, mais pas une seule syllabe, qui fut en notre faveur, que tout au contraire y fut dirigé contre nous… Comment est-il possible que dans de si longues & de si vastes recherches, jamais la moitié du genre humain ne se soit présentée à vous ?

Vous nous avez donc cru, Monsieur, des êtres bien insignifiants dans le monde, vous avez donc pensé que nous n’étions faites que pour suivre le branle des opinions & des mœurs qu’il vous plairait de donner à la société, & que contentes ou mécontentes du rôle qui nous serait échu ce rôle était de si petite conséquence que la pièce serait également bien jouée.

[…] Quel est le grand but de toute votre réforme du Collège ? L’égalité entre les Citoyens.

Comment est-il possible Monsieur, que voyant si bien que le défaut d’égalité est la vraie cause de tous nos maux […]

Mais il est inutile de vous demander votre réponse. Elle est dans votre ouvrage même. Il faut une éducation qui donne à la jeunesse l’unité d’intérêts & l’esprit d’égalité… » Lettre anonyme adressée à Horace Bénédict de Saussure

Albertine, fille d’Horace Bénédict de Saussure écrira elle-même des ouvrages de pédagogie qui feront date. Grâce à son père, le naturaliste bien connu pour avoir gravi le Mont-Blanc,  Albertine Necker de Saussure a reçu une solide formation scientifique. A tel point que c’est elle qui rédigera les cours de son mari enseignant la botanique à l’Académie ! Quant à la Société des arts fondée par son père en 1776, elle dispensera des cours de dessins destinés aux émailleuses de la Fabrique ainsi qu’aux femmes de la bonne société. A la fin du XVIIIe siècle, les ouvrières n’ont pas accès à l’instruction publique et sont souvent analphabètes. La Liberté, l’Egalité et la Fraternité apportées par l’annexion française n’y changeront rien ! Elles devront attendre la Révolution radicale de 1846 pour accéder à l’instruction publique.

Animation:
Marion Saurel
Texte:
Valérie Fontaine